Cérémonies du 62ème anniversaire du Cessez-le-feu en Algérie

20 mars 2024 | Cérémonie, Commémoration

Le devoir de mémoire a été honoré à Mont-Saint-Martin, ce 19 mars 2024, par une cérémonie officielle devant la stèle du Souvenir, puis au Monument aux Morts et à la Paix (Atome de la Paix). Les élèves de l’école Jules Ferry étaient présents à cette cérémonie, conduite par l’adjoint au Maire Patrick Lot, pour des lecture de poèmes et textes sur la Paix.

Avant les allocutions du président du Comité F.N.A.C.A, Représentant les Anciens Combattants, Michel Richard, du Maire, Conseiller Départemental, Président de l’Agglomération du Grand Longwy, Serge De Carli, et du sous-préfet de Val-de-Briey, Richard-Daniel Boisson (pour la lecture du message de Patricia Mirallès Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la mémoire). M. Claude Bargellini s’est vu remettre la médaille commémorative des combats en Algérie, et M. Michel Henrion la croix du combattant.

 

Discours de Serge De Carli
Cérémonie du 19 Mars 2024

« Mesdames et Messieurs, chers amis,

Il y a 62 ans, au lendemain des accords d’Evian, signés entre le gouvernement français et le Front de libération nationale, le cessez le feu, en Algérie, sonnait le terme d’une guerre qui a marqué notre mémoire, qui a marqué notre histoire.

C’était le 19 mars 1962.

Aujourd’hui, 62 ans plus tard, nous sommes toujours préoccupés par la barbarie que représente constamment la guerre… Les conflits en Europe, entre la Russie et l’Ukraine, au Proche Orient, entre Israël et le Hamas, à Gaza, entre autres, sont autant de dangers qui guettent.

Je sais que beaucoup d’entre nous sont inquiets de la tournure que prennent ces conflits, en particulier pour celui qui se tient à nos portes.

L’emballement belliciste monte crescendo. Combien de souffrances le peuple ukrainien devra-t-il encore endurer avant que la raison ne l’emporte sur les visées hégémoniques et les combinaisons géopolitiques ?

Je profite de ce moment particulier, qui nous réunit, pour exprimer notre solidarité avec tous ceux qui, quelle que soit leur condition, sont frappés, en Ukraine, au Proche Orient, ou, ailleurs, dans le Monde, par la violence qui nie les droits élémentaires à vivre en paix. 

Notre solidarité va aussi à toutes les voix qui rejettent la guerre comme moyen de régler un différend politique.

Alors, avant qu’il ne soit trop tard, continuons à exprimer nos doutes sur les décisions prises et alimentant un engrenage qui pourrait nous entraîner au pire.

Par ailleurs, concernant l’Ukraine, je suis frappé par la similitude du vocabulaire employé par Vladimir Poutine quand il s’adresse à son peuple, notamment, quand il parle « d’opération spéciale », tout comme, voici 62 ans, le gouvernement français utilisait le terme de « pacification », « d’évènement » concernant l’Algérie. Dans les deux cas, le mot guerre n’apparaît pas.

Il faut dire que l’Algérie a fait partie intégrante de la France. De 1848 jusqu’à 1962, ce territoire était constitué de départements. 

Un modèle unique dans l’histoire de la colonisation française. L’Algérie était administrée par le ministère de l’intérieur. Elle relevait donc du territoire français, au même titre que la Bretagne, que la Savoie ou encore que la Corse. 

Il était inimaginable de s’en séparer. Pourtant, ce morceau de France était un paradoxe absolu. Les citoyens musulmans, population majoritaire, n’avaient pas les droits du citoyen français. Comment résoudre cette contradiction ?

Pour les nationalistes algériens, qui se sont fait entendre dès les années 1920-1930, la réponse est évidente : se séparer de la France. Le défaut de francisation a donné naissance aux premiers leaders indépendantistes tel que Messali Hadj ou Ferhat Abbas. Puis, le Front de Libération Nationale (FLN) a lancé la lutte armée en 1954…

Notre gouvernement n’a pas toujours employé la bonne terminologie pour désigner ce moment de notre histoire de 1954 à 1962.

On a parlé « d’évènements », on a parlé « d’opérations de maintien de l’ordre » … Pourquoi ne pas avoir utilisé le mot « guerre » ?

Tout simplement parce que, à l’époque, la France et l’Algérie ne font qu’un et qu’on ne se fait pas la guerre à soi-même.

Durant ce conflit, Paris n’a pas voulu que cette « question algérienne » soit débattue à l’ONU car cela ne concernait que la France… et personne d’autre.

L’Algérie était enchaînée à cette vision nationaliste des années 1950 qui voyait la France comme un grand pays colonial. Il était donc hors de question de perdre cet immense territoire Nord-Africain qui permettait de hisser le drapeau tricolore aux confins du Sahara.

Après le retour du général De Gaulle, en 1958, faisant suite au coup d’Etat militaire à Alger, il n’y a pas d’autre choix que de mettre un terme à ce conflit très impopulaire.

Cette guerre sans nom menaçait de se transformer en guerre civile en métropole, notamment à cause des attentats de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), mouvement pro-Algérie française. Le général accéléra le processus d’autodétermination et d’indépendance de l’Algérie, mais ne régla pas le problème fondamental qui allait en découler, celui du rétrécissement national.

En effet, dans la mémoire nationale, les discours officiels qui suivent le terme de cette guerre, laissent entendre que la France reste une puissance coloniale, ce qui n’était plus le cas. Cette position crée alors, pour certains, un sentiment de nostalgie et d’abandon qui ne s’est jamais effacé dans une partie de la mémoire française.

La faille algérienne, longtemps dissimulée, à droite comme à gauche, n’a pas été comblée. Après la guerre, les différents acteurs politiques, militaires, civils, ont oscillé entre le regret, le remord et surtout, le ressentiment.

La guerre ne s’est pas terminée au lendemain des accords d’Evian ; les violences ont continué. Nombre de harkis ont été massacrés et un million d’Européens ont dû être rapatriés pour échapper à un destin funeste. Mais nous retiendrons que cette date du 19 mars, marque la volonté partagée de sortir de la guerre.

Car oui, ce conflit algérien était une guerre. Une guerre de huit ans, avec son cortège d’horreurs, d’abominations, de martyrs et de victimes : 152 000 morts dans les rangs du FLN, 27 500 militaires français tués et près de 500 000 morts algériens, civils ou combattants.

C’est dire l’importance du devoir de mémoire qui s’impose à nous, un devoir d’honnêteté historique également vis-à-vis de tous ceux, et de leur famille, qui ont vécu ce conflit. Vis-à-vis également des jeunes générations.

Car ce 19 mars 1962 marque la volonté commune de la République française et du Gouvernement provisoire de la République algérienne de cesser les hostilités et d’engager nos deux pays dans une nouvelle voie, celle de la coopération dont nous sommes encore les acteurs.

Ces accords constituaient un compromis politique, et non une défaite militaire. Ils furent approuvés par le peuple français à plus de 90 % lors du référendum du 8 avril 1962.

Aujourd’hui, symboliquement, cette commémoration nous permet de tirer une leçon au regard de notre actualité quotidienne : celle du nécessaire dialogue entre les hommes lorsque les différents surgissent et que les violences éclatent.

Je veux parler du dialogue, comme synonyme de volonté assumée et consentie d’écoute, de considération et de concessions mutuelles. Le souvenir de la guerre d’Algérie nous rappelle ainsi qu’entre les hommes, entres les peuples, la seule conquête qui vaille est celle de la paix.

C’est ce message qui doit rester le nôtre envers toutes les jeunes générations qui aspirent à ne plus connaître les souffrances des guerres.

N’oublions pas qu’entre 1954 et 1962, ce conflit a mobilisé deux millions de jeunes Français du contingent, appelés 27 mois pour certains, soit toute la durée de leur service militaire. Ayons une pensée, en ce jour commémoratif, pour les sacrifices consentis par cette dernière génération ayant connu la cruauté de la guerre et des stigmates, souvent indicibles, qu’elle laisse.

Vous avez vu des camarades tomber, vous avez vu des camarades grièvement blessés, garder des marques à vie sur leur corps. Et nous avons aussi tous vu et entendu des personnes marquées par des blessures psychologiques et morales. Des blessures invisibles mais dont la cicatrice ne se referme jamais complètement.

Vous représentez les mémoires. Derrière chaque mémoire, n’oublions pas qu’il y a une famille, des survivants, des descendants. Et je n’oublie aucune victime. Car cette guerre était avant tout un déchirement des peuples, des deux côtés de la Méditerranée.

Cette commémoration, est celle du souvenir. C’est le sens que je veux lui donner. Ce jour doit servir à témoigner notre respect à toutes celles et tous ceux qui ont été touchés, de près ou de loin, dans leur corps ou dans leur âme, par cette guerre.

Parce qu’ils y étaient. Parce qu’ils y ont perdu quelqu’un. Parce que cette guerre est une part de leur testament et qu’elle constitue notre héritage.

Cet héritage, c’est aussi celui de la volonté des signataires des accords d’Evian de construire une relation de paix, affranchie de toute forme de domination. Des traces persistent dans nos consciences respectives, françaises et algériennes. 

62 ans après, sachons les dépasser.

Aujourd’hui, l’heure est au souvenir. Surtout, il est l’heure, plus que jamais, de promouvoir la paix entre les peuples.

Vive la République, vive la France, vive Mont-Saint-Martin, vive la Paix. »

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