Cérémonies du 60eme anniversaire du cessez le feu en Algérie

23 mars 2022 | Commémoration

Les élus de la Municipalité, la FNACA. et les Comités des Fêtes de la Ville se sont rassemblés pour commémorer le 60ème anniversaire du cessez-le-feu en Algérie. Après s’être rendue devant la stèle du Souvenir pour des dépôts de gerbes et lecture du Manifeste de la FNACA, l’assemblée présente est allée au Monument aux Morts et à la Paix (Atome de la Paix) où messieurs Guy Alexandre, Jean Mirgaux, Christian Monneau et Fortune Tornior ont été décorés de la médaille militaire.

Michel Richard, Président du Comité FNACA, Président de la Coordination du Pays Haut, Représentant les Anciens Combattants, a tenu un discours émouvant. Et les élèves de l’École Élémentaire Albert Iehlen ont cité des poèmes après une introduction empreinte de civisme que Serge De Carli, Maire de la ville, a salué.

Le premier magistrat de la ville, Conseiller Départemental et Président du Grand Longwy a ensuite tenu un discours fort et engagé qui est à retrouver ci-dessous dans cette publication.

La commémoration s’est terminée en Mairie par un vin d’honneur offert par la ville.

Discours du 19 mars  2022
de M.
Serge DE CARLI
Maire,
Conseiller Départemental,
Président du Grand Longwy Agglomération

« Mesdames, Messieurs les responsables d’associations d’anciens combattants

Mesdames Messieurs les responsables d’associations,

Mesdames, Messieurs les élus du conseil municipal, chers collègues, 

Mesdames et Messieurs, Chers amis, 

Nous sommes aujourd’hui réunis pour renouer avec une vieille tradition à Mont-Saint-Martin : commémorer l’anniversaire du 19 Mars 1962 qui installait le cessez le feu et marquait, ainsi, l’arrêt officiel des combats de la guerre d’Algérie.

La loi du 6 Décembre 2012 a institué le 19 mars : journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire de celles et ceux, militaires comme civils, Français comme Algériens, qui sont tombés sur le sol algérien alors département français. A travers cette journée, nous fêtons aussi les victimes, militaires et civils, des combats du Maroc et de la Tunisie. Cette loi vise à reconnaître à la guerre d’Algérie son caractère central dans la construction de l’identité française moderne et à assurer une transition apaisée de sa mémoire aux générations futures.

Le 19 mars 1962 est le symbole d’un évènement historique qui fut accueilli avec soulagement par une grande majorité de français et qui a ouvert au peuple algérien la voie de l’indépendance. La veille, le 18 Mars, étaient signés les accords d’Evian entre les représentants du gouvernement français conduits par louis JOXE et ceux du Front de Libération National Algérien, le FLN. 90 % des électeurs approuvèrent ces accords lors d’un référendum organisé par le général De GAULLE le 8 Avril de la même année.

Cette dernière guerre coloniale, qui ne disait pas son nom, mettait fin à la présence française en Algérie et tournait alors la page d’une longue histoire de notre pays en tant que puissance coloniale.

Cette guerre, longue de 8 années, a provoqué des morts par centaines de milliers, a suscité des souffrances insoupçonnables et a mobilisé, chaque année, des centaines de milliers de jeunes français.

Ce conflit a participé à faire tomber la IV ème République en France. 

Cette date du 19 Mars, ne saurait, pourtant, traduire le retour de la paix. Pour beaucoup, en effet, le cessez le feu a correspondu à une accélération des drames vécus et au basculement dans les déchirements. Pour nos compatriotes français d’Algérie rapatriés, les « pieds noirs », cela a signifié l’abandon de leur terre natale et de leurs racines. Pour les harkis, qui n’imaginaient pas d’autre avenir que dans la France, cette fidélité fut un choix pour lequel ils payèrent un lourd tribut.

Il existait en réalité trois guerres :

  • L’une opposait l’armée française aux maquisards et aux résistants algériens qui luttaient pour leur indépendance,
  • La deuxième mettait aux prises ces combattants algériens entre eux sur l’avenir politique de leur pays,
  • La troisième était une guerre civile française entre les partisans d’une « Algérie française », associés à l’extrême droite, et les partisans de l’indépendance.

Cette guerre-là se traduisit notamment par une tentative d’assassinat du Président de la république, le général De GAULLE.

Trop de haines ont été créées pendant la guerre. Depuis des décennies, trop de promesses n’ont jamais été tenues. Les Algériens ont souffert de tant d’injustices, de mépris, d’indignités que les accords d’Evian ne pouvaient être autre chose qu’un constat de faillite. A vrai dire, ils ne furent guère appliqués mais ils ont évité le pire. Ils ont établi, peu à peu, un bien inestimable : La Paix. 

C’est pourquoi, nous nous retrouvons rassemblés ici.

Nous pensons, en effet, que dans les périodes troubles que nous vivons, les retards pris par le fait de ne pas assumer certains pans tragiques de notre histoire, nous font courir le risque d’une fragmentation de la société. 

Ne pas assumer notre histoire engendre la menace que se développent des mémoires dangereuses qui finissent par fabriquer des identités meurtries, voire même meurtrières.

Les plus jeunes méconnaissent l’histoire de la colonisation et des nationalismes. A vrai dire, ce n’est pas de leur faute. Cela est lié au déficit d’informations des programmes scolaires sur ce sujet et à des années de silence. Résultat, ce déficit a créé un espace pour une réécriture fantasmée de l’histoire. Voilà pourquoi il nous faut en permanence augmenter le niveau de leur formation sur cet aspect, pour aller vers une meilleure compréhension du passé. Souvenons-nous ce que dit l’historien Pierre NORA, spécialiste du sentiment national : « L’histoire rassemble, la mémoire divise ».

Pendant trop longtemps, la société n’a pas regardé cette histoire en face. Cette histoire existait pourtant mais dans les cercles familiaux, dans l’histoire privée, chacun de son côté :

  • Les pieds noirs, dont personne ne voulait connaître l’histoire, entretenaient leur propre récit, tout en subissant la vision stéréotypée de colonisateurs alors que la plupart d’entre eux étaient de condition modeste.
  • Les appelés du contingent ayant combattu sur place revenaient dans un pays où la jeunesse du « baby-boom » était en pleine mutation jusqu’à l’explosion de mai 68.
  • Les harkis, parqués dans des camps d’internement, français de seconde zone et jetés hors du vent de l’histoire de la France comme de l’Algérie.
  • L’immigration algérienne vivant en France qui durant des dizaines d’années n’a pas eu voix au chapitre.

Nous le disons régulièrement, Mont-Saint-Martin, notre ville, est une « ville monde » dans laquelle toutes les régions de France et de la planète se sont données rendez-vous. Cela peut-être une chance, une infinie richesse, à la condition que nous nous donnions des règles communes acceptées par tous pour vivre et pour grandir ensemble. Parmi ces règles communes, il nous faut regarder ensemble notre histoire pour ne pas revivre éternellement les erreurs du passé.

Il nous faut reconnaitre qu’à travers une soi-disant « mission civilisatrice », la France a durant plus d’un siècle exercé une domination violente sur une partie du monde.

Il nous faut reconnaitre la responsabilité de nos dirigeants politiques, qui, aveuglés par l’idéologie colonialiste, n’ont pas vu l’émergence à la sortie de la deuxième guerre mondiale, d’un formidable espoir de liberté et de dignité parmi les peuples colonisés. Peuples colonisés dont de nombreux fils étaient morts en combattant contre le nazisme. La seule réponse qu’apporta notre pays, « le pays des lumières », à ces légitimes revendications, fut la répression sanglante de Sétif le 8 Mai 1945 en Algérie.

Avec une autre vision politique, que de drames auraient pu être évités !

Oui mais voilà, aujourd’hui, la responsabilité c’est nous. Je pense qu’il n’existe pas de personnes innocentes des situations. Penser que nous serions innocents de ces situations nous conduirait à nous exclure de la trame du paysage et donc de toutes actions. On peut toujours agir, faire des petites choses pour changer les choses.

Dire : « je n’ai pas choisi la politique colonialiste menée dans le passé par la France » parce que je suis trop jeune ou parce que je suis d’origine étrangère, ne nous mène collectivement qu’à l’impuissance. Nous sommes toutes et tous la France d’aujourd’hui, ici et maintenant, à Mont-Saint-Martin, quelles que soient nos origines, notre couleur de peau, nos croyances ou notre nationalité. Nous sommes les habitants de ce pays. Nous partageons un territoire et un destin commun.

Nous sommes la France. Nous sommes donc héritiers, ensemble, d’une histoire léguée par celles et ceux qui nous ont précédés, que nous le voulions ou non. La seule question qui vaille est donc de se demander : « puisque nous sommes la France, de quel côté y-a-t-il quelque chose à construire, ici, dans notre ville « ? Car lorsque nous n’assumons   plus la responsabilité, quand il n’y a plus rien à construire, alors ne reste que la culpabilité. Le combat pour la paix et pour la fraternité passe nécessairement par un dépassement des situations. Ce combat ne se satisfait jamais des situations présentes.

Comment mener ce combat ? Par l’éducation. En même temps qu’il désire conserver un patrimoine, tout système éducatif vise aussi la remise en cause de soi-même, des autres et des choses, par conséquent la promesse de l’évolution de la société.

Le travail éducatif vise avant tout, et cela dès l’enfance, à développer les capacités de « faire société ensemble ». Les exemples en la matière sont innombrables : c’est lorsque des possibilités d’expression de leur parole, de leur mémoire, de leur histoire sont offertes aux personnes que la violence se transforme en conscience politique et sociale. C’est en acceptant que chacun puisse mettre des mots sur son histoire, puisse verbaliser le tort dont il s’estime victime, la blessure qui lui a été infligée que peut naître une parole légitime recevable par d’autres.

Tel est le défi initié par le gouvernement de la République en cette journée de commémoration.

Vous l’aurez compris, le 19 mars n’est pas une fête. Le 19 mars est fait pour se souvenir, pour se recueillir comme nous le faisons mais l’on ne fête rien. Je suis certain que vous comprenez pourquoi. Albert CAMUS, natif de l’Algérie disait : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout ». La commémoration de la fin de la guerre d’Algérie offre l’occasion de regarder en face notre histoire et sa vérité, aussi douloureuse soit-elle pour notre pays et notre conscience, mais surtout pour vivre en paix et en fraternité demain.

Ceci résonne d’une manière toute particulière alors que des résurgences du siècle dernier, porteuses d’annexion, de soumission, d’intolérance, font souffrir des hommes, des femmes et des enfants qui ne demandent rien d’autre que de vivre dans leur Pays : L’Ukraine !

Vive la Paix dans le Monde et vive l’Amitié et la Solidarité internationales. »

 

 

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